J’ai passé le week-end dernier au parc avec mes deux garçons de 4 et 6 ans. Le lieu était rempli d’enfants courant de tous les côtés, excités et riant aux éclats. Aucun n’avait envie que la journée se termine.
Je me suis surpris à me demander quel pouvoir magique pouvait bien exercer les parcs pour que les enfants ne veuillent plus en repartir… Et pourquoi ils ne vivent généralement pas la même expérience lorsqu’on les emmène au musée.
La réponse peut sembler évidente : dans un parc, les enfants jouent. Mais quels ressorts psychologiques leur font généralement préférer une sortie ludique au parc à une visite au musée ? Selon moi, tout repose sur 4 leviers clés :
interactions, émotions, accomplissement et émulation.
Ce sont ces leviers qui entrent en action lorsqu’un enfant recherche des sensations fortes sur un toboggan, qu’il se dépasse pour être celui qui arrivera le premier ou tente d’escalader toujours plus haut… Ils agissent aussi lorsqu’il se lance dans un environnement inconnu, construit quelque chose avec ses copains ou leur lance des défis… Autant d’occasions pour lui de ressentir de la joie, de la fierté et de recueillir les compliments de ses parents.
Est-il possible d’activer ces leviers lors d’une visite au musée ?
Comment s’y prendre pour qu’une visite au musée rende nos enfants aussi enthousiastes qu’une après-midi au parc ?… Un musée n’est pas un terrain de jeu ; il n’offre pas une liberté aussi débridée que celle d’un jardin public. Pourtant, certaines équipes de médiation culturelle proposent de passionnantes expériences aux groupes d’enfants, des expériences qui jouent souvent sur les ressorts que nous venons d’évoquer.
Là où les choses se gâtent, c’est lorsque vous vous rendez au musée en famille et à l’improviste… En tant que parent, j’ai souvent pu déplorer le manque de solutions disponibles “à la demande” pour distraire et éveiller les enfants dans un environnement culturel. Si les musées dédiés aux sciences se montrent en général très imaginatifs pour capter l’attention du jeune public, on ne peut pas en dire autant de tous les musées. Pour beaucoup d’entre eux, mieux vaut planifier sa venue pour s’assurer de la disponibilité d’une médiation appropriée. Faute de quoi, vous devrez jouer vous-même les médiateurs culturels sur un sujet que vous ne maîtrisez pas forcément !…
Le numérique à la rescousse ?
L’usage du numérique, en particulier sur les tablettes et mobiles, est en mesure de combler cette lacune. Il présente tout d’abord des atouts de taille : disponible de façon immédiate, il peut s’adapter avec une grande souplesse aux différents publics, quels que soient leur âge, leur niveau d’expertise et leurs centres d’intérêt.
Il permet surtout de déployer rapidement des solutions susceptibles d’activer les 4 leviers dont nous parlons aujourd’hui, ceux qui font d’une visite une expérience que les enfants voudront revivre – et dont les parents parleront autour d’eux. Voici quelques exemples :
INTERACTIONS
C’est bien sûr ici qu’intervient la tablette numérique – la fameuse tablette, plébiscitée et décriée à la fois. Elle ne doit pas être le point central de l’expérience mais seulement son point de départ. L’objectif est qu’elle nourrisse les échanges entre l’enfant et ses proches et qu’elle favorise ses interactions avec les oeuvres et objets exposés. Ainsi, un jeu numérique scénarisé associant storytelling et résolution d’énigmes sera l’outil parfait pour installer ces interactions puisqu’il rend l’enfant actif et impliqué.
EMOTIONS
Le numérique est capable de démultiplier les émotions ressenties naturellement face à une oeuvre, un objet ou un site. Le récit audio, tout d’abord, va transporter l’enfant dans un univers propice à l’évasion. Il faut pour cela un narrateur passionné qui ne se contentera pas de réciter un texte mais va l’incarner et le faire vivre grâce à ses talents d’acteur.
Le numérique offre en prime des possibilités infinies pour amuser et surprendre l’enfant. En réalité augmentée, il pourra par exemple côtoyer un personnage historique, affubler l’un de ses proches d’un costume médiéval, ou encore caresser un dinosaure… Et bien sûr faire des photos souvenir de tous ces bons moments ! L’enfant pourra également vivre des expériences de réalité virtuelle mémorables car émotionnellement impactantes (Lire notre article sur ce sujet).
En résumé, le numérique permet de tirer le meilleur parti de toutes ces innovations immersives capables de transporter l’utilisateur dans un autre lieu ou une autre époque.
ACCOMPLISSEMENT
Une visite numérique peut alimenter ce sentiment par différents moyens. Au premier rang d’entre eux se trouvent les dispositifs de récompense (gain de points, collecte d’objets ou d’indices virtuels) mais aussi la mécanique du jeu – par exemple, en ne révélant une nouvelle étape à l’enfant que lorsqu’il réussit à résoudre un défi.
Le contenu peut lui aussi concourir à ce sentiment d’accomplissement, en permettant d’acquérir de nouvelles connaissances via le récit ou les quizz, ou encore en révélant des anecdotes surprenantes et des détails que l’enfant aura l’impression d’être le seul à connaître.
Autre moyen d’activer ce levier, on peut aussi solliciter la créativité de l’enfant pour résoudre une énigme complexe ou relever un défi créatif.
EMULATION
Les jeux doivent être le plus variés possible. Ils peuvent ainsi combiner des défis basés sur l’écoute et l’observation (rechercher activement un indice dans le décor ou au sein d’une oeuvre), des questions de réflexion, et des défis amusants (par ex. prendre un selfie en imitant le personnage d’une toile).
Le jeu doit évidemment permettre de cumuler des points et/ou d’objets pour créer une émulation, les enfants souhaitant toujours comparer leur score à ceux de leurs camarades.
L’action de ces quatre leviers trouve également un fondement biologique
Cette approche empirique est confortée par une explication plus scientifique. Chacun des quatre leviers évoqués aujourd’hui participe en effet à la libération de différentes hormones qui contribuent aux sentiments de joie et de bonheur : la dopamine, la sérotonine, l’ocytocine et l’endorphine.
- La dopamine est à l’origine de la satisfaction éprouvée lorsqu’on obtient une récompense, qu’on atteint un objectif ou qu’on reçoit une bonne surprise.
- La sérotonine est l’hormone de l’estime de soi et de la confiance en soi. Elle entre en jeu lorsque l’enfant éprouve un sentiment de fierté.
- L’ocytocine est l’hormone libérée lors des interactions sociales ; elle est à l’origine du sentiment d’attachement, de connexion et de partage avec l’autre.
- L’endorphine est l’hormone à l’origine du sentiment de bien-être lié au rire.
En plus de leurs vertus émotionnelles, ces hormones favorisent la mémorisation. La dopamine, par exemple, renforce la mémoire épisodique – celle qui permet de revivre une scène passée.
Quand commencer ?
Les enfants d’aujourd’hui baignent dans un environnement aussi numérique que physique. La technologie est pour eux un support d’échanges avec autrui, un moyen de se connecter à la réalité ou à la fiction des autres.
En utilisant le numérique à bon escient, les musées et sites culturels disposent donc d’un atout majeur pour créer un lien fort avec le jeune public et l’amener à découvrir leurs trésors. Ce type de média prend d’ailleurs une place grandissante au coeur des dispositifs d’accueil, comme le montre par exemple l’initiative de Môm’Art, en France.
Le débat sur l’introduction du numérique dans les musées et sites culturels n’a plus lieu d’être ; la réponse est connue. Reste une question que chaque site ou musée doit se poser : “Comment adapter intelligemment l’usage du numérique au sein de ma propre institution ?”